___Tel l’Aga Khan qui prélève son poids en or sur la masse de ses sujets, je récolte chaque année, depuis un demi-siècle, mon poids en images dans les magazines qui passent à ma portée. Je trie ces photos pour y traquer les traces de la folie et de l’injustice du monde, faisant ainsi sur le tas l’apprentissage de la « Civilisation de l’image ». Immergé dans cette soupe amniotique secrétée par notre Occident, je décrypte des lapsus visuels révélateurs, je les recombine en mélangeant le sacré du musée au profane du kiosque, en remplaçant les nus gothiques par les culs dodus de la presse de charme et en insinuant les scoops de la guerre et de la misère dans les enfers de la peinture médiévale.
___C’est pour exorciser ma honte devant cette autocélébration pratiquée par notre culture. J’ai plusieurs fois utilisé comme alibi le « Jardin des délices » de Jérôme Bosch, en découpant, collant, vernissant des créatures de papier glacé. Puis ce fut en relief avec des poupées Barbie et enfin aujourd’hui, stade ultime, je plante un dernier Jardin informatique avec un ordinateur. Et voilà que le traitement virtuel m’affranchit de toutes les phases du bricolage. Copier-coller en pianotant sur un clavier devient un exercice de liberté. Mon esprit peut désormais accomplir avec plus de précision sa fonction palimpseste.
___Manie venue d’une lignée de colleurs ironiques et qui consiste à mettre en présence des objets disparates pour faire jaillir un autre sens, un non-sens si vous préférez. Mettre Freud en Dieu créateur, faire une Fontaine de vie duchampienne, échanger les excroissances ésotériques des lointains de Bosch contre un assemblage ducassien de parapluies et machines à coudre, ranger Pierre Schaeffer et Luc Ferrari dans l’Enfer de la musique et coller Nietzsche au pinacle, tout ça connote, exhibe, c’est parano, schizo, mégalo, que sais-je.
___C’est ainsi que, guidé par les anciens maîtres, j’ai pris des libertés avec la bible pour illustrer les turpitudes de notre existence insensée, employée à la reproduction d’elle-même et à la folie de l’absolu, en m’adonnant au jeu de subversion d’un monde que j’ai du mal à comprendre.